Vivre en temps de guerre

Seconde Guerre mondiale

A la rencontre de l’humain

Michel Reynaud. – L’enfant de la rue et la dame du siècle : entretiens inédits avec Germaine Tillion. – Editions Tirésias, 2010, 333 p.

La vie de Germaine Tillion décédée en 2008 à presque 101 ans est exceptionnelle. Une éducation qui lui permet d’étudier l’archéologie puis l’ethnologie auprès de Marcel Mauss. Dès 1934, des missions dans les Aurès où elle mène une longue enquête auprès de la population Chaouia. Un retour en 1940 en France métropolitaine, inquiète des évènements qui s'y déroulent.
Comme sa mère, elle est naturellement convaincue qu'il faut agir contre l’occupant dès que l'occasion se présentera. Pour Germaine Tillion, très vite, ce sera le réseau du Musée de l'homme. Elle est arrêtée en 1942, sa mère en 1943 toutes deux sur dénonciation et déportées à Ravensbrück (sa mère en 1944). Au milieu des brimades et de la cruauté quotidienne, et grâce aux méthodes d’observation et d’analyse qu’elle a acquise sur le terrain algérien, elle parvient à faire une étude pour décrire ce qu'elle vit et ce qu'elle voit du système concentrationnaire nazi et même une opérette ! Son intelligence et sa force d'esprit canalisées par ce travail, lui permettent de tenir et d'encourager ses compagnes de camps. A un moment pourtant elle flanche, jusqu'à imaginer se laisser mourir : lorsqu'elle apprend la mort de sa mère. On est en mars 1945. Elle est anéantie. Elle sort du camp en avril 1945. Ce n'est que le devoir de reconstituer la liste des noms, l'état civil de ses compagnes décédées qui la pousse encore, puis, celle de témoigner pour qu'on ne nie pas l'existence des camps. Ce sera encore le rejet de la violence qui la poussera à se mobiliser puis intervenir durant la guerre d'Algérie.
Ce qui frappe chez Germaine Tillion c’est une extrême humanité faite à la fois d’intelligence et de détermination mais aussi d’objectivité éclairante.

Germaine Tillion a écrit de nombreux ouvrages, de nombreux ouvrages ont été écrits sur Germaine Tillion. L’enfant de la rue et la dame du siècle se différentie des autres car il s’agit d’une série d’entretiens à bâton rompu et sur plusieurs années entre Germaine Tillion et l’écrivain ami. Il rend compte en toute simplicité du parcours et de l’expérience humaine hors du commun de l’intéressée. On entre dans l’intimité de Germaine Tillion pour mieux appréhender de l’intérieur deux périodes conflictuelles et difficiles de l’histoire (l’occupation dans la deuxième guerre mondiale et la guerre d’Algérie). Sans pathos, juste avec lucidité et bienveillance et toujours avec un vrai souci d’exactitude. De nombreuses fois, Germaine Tillion reprend ainsi son interviewer, l’éclaire, ou lui explique des choix qu’elle a pu faire notamment dans son travail de témoignage comme ici p.157 :

Je voudrais vous poser une question, douloureuse peut-être, mais dans la première et la deuxième édition de votre Ravensbrück en 1945, le portrait de votre maman n’apparaît pas, tandis qu’il apparaît dans la troisième édition, puis-je savoir pourquoi ?
Par pudeur. Parce que je considérais que cela ne concernait que moi et, dans la troisième édition, je prends conscience qu’un texte ne vaut que si l’auteur du texte doit s’épingler. Il doit s’épingler au début, disons que c’est ce que j’exigeais de mes étudiants. Quand un de mes étudiants faisait une thèse, je lui disais, vous devez d’abord dire avant tout de quel endroit vous avez vu ce que vous avez vu. Par conséquent, je me suis dit : ce que j’exige des autres, je dois l’exiger de moi-même. Et je ne l’avais pas fait que par pudeur.

Un incessant combat contre l’aliénation humaine sous toutes ses formes. Un engagement pour la liberté, total.

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