Vivre en temps de guerre

Seconde Guerre mondiale

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Occupation à tous les étages

Colette Vivier. – La Maison des Quatre-Vents. – Casterman, 2012, 237 p.
[Le texte présenté dans cette édition a été revu et corrigé en 1991 par André Duval, le fils de l’auteure. Colette Vivier est une des grandes figures de la littérature jeunesse du XXème siècle. Dans ses romans jeunesse réalistes, elle livre la vie quotidienne dans un langage du quotidien et donne la parole à l’enfant. Un style qui préfigure d’autres ouvrages jeunesse tel Le Petit Nicolas de René Goscinny et Sempé].

Ecrit juste après-guerre en 1945, par Colette Vivier, femme de lettres et résistante *, ce livre sera le premier roman jeunesse à évoquer la vie quotidienne des français pendant l’occupation. Il le fait de manière originale, par le biais des habitants d’un immeuble parisien, situé au 24 rue des Quatre-Vents, entre Noël 1943 et la libération de la ville en août 1944.
A chaque étage se trouve ainsi croqué la vie d’un ou plusieurs personnages symboliques de la période et qui permettent d’en découvrir ses particularités : Madame Sellier dont le mari est prisonnier depuis 1940, et ses enfants ; M. et Mme Moscot, en fait Moscowitz, et leur fils, juifs polonais chassés de Lyon ; M. et Mme Gourre et leur deux fils, famille largement favorables aux allemands ; la concierge dont le fils a rejoint la France Libre ; la petite Solange qui espère fébrilement des nouvelles de son grand-frère entré dans la Résistance, …

Ainsi, ils nous font découvrir la BBC, le rationnement et la collaboration, la délation et les actes de résistance, les juifs et les prisonniers, les alertes, la peur et enfin… l’espoir d’une libération.

Fil conducteur de L’histoire, Michel Sellier, âgé de douze ans, souhaite agir pour venger son père prisonnier. C’est à sa hauteur et à son rythme qu’on avance dans le roman, aux hasards de ses activités et de ses rencontres.

A partir de 10 ans.

*réseau de résistance du musée de l’homme

Extraits :

"Des Allemands défilaient sur la chaussée, en poussant leur chants noirs, avec une sportive lenteur." p. 44

"Il se rattrapa en dévorant avidement son assiettée de topinambours, tout en écoutant Norette qui racontait les évènements de la matinée. Les bombes étaient tombées sur la banlieue, la veille au soir ; la boulangère avait une cousine qui habitait de ce côté-là, et elle avait eu bien peur pour elle." p. 70

" - Et alors ? Tiens, avec tous ces allemands qui défilent chez eux, est-ce qu’on sait ce qui peut se passer ? Ils peuvent nous découvrir mes parents et moi, me faire arrêter…

Michel écarquilla les yeux.

-Toi ? pourquoi ?

- Parce que je que je suis juif, dit Georges amèrement, parce qu’il parait que c’est défendu d’être juif ! Et pourtant, reprit-il avec violence, est-ce que je n’ai pas des bras et des jambes comme les autres ? Est-ce que je ne vais pas à l’école, comme toi ? Est-ce que je ne travaille pas bien ? " p.74

La Rose Blanche

Jean-Claude Mourlevat, Sophie Scholl : « non à la lâcheté » Actes Sud Junior, 2013
Inge Scholl, la rose blanche, six Allemands contre le nazisme, Editions de Minuit, 2008
Keiko Ichiguchi, 1945, Kana, 2005
Film de Marc Rothemund, Sophie Scholl  les derniers jours, Arte Editions, 2006

     

3 ouvrages et 1 DVD, un roman jeunesse dans la collection « ceux qui ont dit non », un récit écrit par la sœur des deux protagonistes, un manga et un film allemand, une même histoire, quatre façons de la raconter, quatre publics.

L’histoire est celle véritable du mouvement de résistance allemande « la Rose Blanche », celle de jeunes allemand-e-s qui, du printemps 1942 à février 1943, écrivirent, distribuèrent des tracts dans de nombreuses villes allemandes et tagguèrent les murs de Munich de slogans pour s’opposer au nazisme et à ses dégâts.

Le 18 février 1943, acte manqué ou geste maladroit (la version diffère selon l’ouvrage), Sophie Scholl laisse s’envoler du haut de l’étage supérieur de l’université où elle est étudiante des centaines de tracts antinazis. Toute de suite arrêtée avec son frère Hans, ils sont interrogés, jugés puis guillotinés le 22 février avec leur camarade, Christoph Probst. Le verdict est « haute trahison et intelligence avec l'ennemi, incitation à la haute trahison, atteinte à l'effort de guerre ». Ils sont âgés de 22 à 25 ans.

Violence inouïe face à des actes de résistance sans violence !

D’autres arrestations suivront pour démanteler le réseau.

Jeu de miroir, d’un côté et de l’autre du Rhin, de très jeunes personnes s’engagèrent totalement pour défendre les mêmes valeurs. Les dernières paroles de Hans Scholl furent  « Vive la liberté. Aujourd'hui vous nous tuez, demain c'est vous qui serez à notre place ».

Qui est ce père inconnu ?

Boualem Sansal, Le village de l'Allemand ou Le journal des frères Schiller, Gallimard, Paris, 317p.

Je n’ai pas eu besoin de relire ce livre, je l'avais dévoré il y a quelques années. Nous préparions l'exposition "Nantais venus d'ailleurs". De prime abord, j'avais imaginé que ce livre parlait de la situation des algériens dans les banlieues, de l'intégration d'une population migrante, la deuxième ou troisième génération, de ses difficultés d'appartenance à ce pays d'accueil qu'elle n'avait pas choisi. Je n'imaginais pas qu'il me transporterait jusqu'à la seconde guerre mondiale.

Beaucoup de détails me reviennent en mémoire, surtout cette question qui m'interroge encore : sommes-nous responsables des agissements de nos parents ? Devons-nous être repentants ?

Les narrateurs sont deux frères, élevés dans une cité de banlieue parisienne, d'une mère algérienne et d'un père allemand. L'un est studieux, l'autre un peu paumé ; ils se cherchent mais ils n'arrivent pas à se comprendre. Nous sommes dans les années 1990, la guerre civile en Algérie fait rage. Un groupe islamique armé (GIA) massacre la population du village où vivaient leurs parents. De retour du bled, l'aîné revient transformé, le passé de son père vient de surgir, il voudra le comprendre et en découdre, et partira sur les traces de cet inconnu depuis l'« Allemagne nazie ». Le cadet, lui, s'interrogera sur la conduite de ce frère qui avait tout pour lui et qui gâche tout sans explication. 

Ce roman est un mélange d'histoires familiales, de tabous, de préoccupations contemporaines et d'histoires dans l'histoire. Alors que le contexte géopolitique est complexe, l'auteur a su poser un tableau à la fois simple et très réaliste, et nous embarquer dans les découvertes successives de ses personnages attachants.

Et vous, qu'en pensez-vous ?

La banalité du mal

Pierre Assouline, La cliente, Folio, 2000, 190p.

 

 

 

Ce roman se lit facilement, rapidement. Alors que le moment est venu de refermer la dernière page, il continue à alimenter sa propre réflexion.

 

Ce livre questionne sur la trop grande simplicité de nos jugements et sur la mémoire des évènements.

 

Paris, années 90. Au gré de recherches dans les archives de la Seconde Guerre mondiale, un biographe découvre une lettre de dénonciation qui le saisit. Les Fechner, cousins de sa femme et fourreurs du 15e arrondissement y sont dénoncés pour activité illégale. Ils seront déportés. L’identité de la dénonciatrice dorénavant dévoilée bouleverse la vie du biographe qui ne souhaite pas s’arrêter là.

 

Avec subtilité, ce roman croise les questions de la position de chacun pendant la guerre, du jugement moral que l’on porte sur les actes, de la manière de vivre avec le souvenir des évènements, de la culpabilité face à un secret de famille, de la réparation du mal et du pardon.

 

Ecrit à l’heure du procès de Maurice Papon , dans un contexte de repentance des institutions sur la Collaboration il souhaite nuancer l’importance du devoir de mémoire. A la question « comment peut-on faire le mal ? » Pierre Assouline répond qu’il est en chaque homme et qu'il ne faut pas négliger les vertus de l’oubli. On n’est pas loin de la notion de banalité du mal développée par Hannah Arendt.

 

Et pour ne rien gâcher, il y a de belles phrases, comme celle-ci, au sujet des années d’Occupation :

 

« Elles avaient la couleur du flou. »